t 9 décembre 2011 .
Otages du Mali Les secrets d'une négociation
Une rivalité franco-française brouille les négociations pour libérer les Français encore détenus au Mali. L'artisan de la première libération, Jean-Marc Gadoullet, raconte au " Monde " les coulisses de ses pourparlers avec Abou Zeid
L'otage Daniel Larribe, en 2005, sur le site des mines d'uranium d'Arlit au Niger. En bas, avec sa femme et Abou Zeid (1 - sup - er - /sup - à gauche) sur une capture d'écran d'une vidéo des otages diffusée sur Al Andalus.
WILLIAM DANIELS/ABACA, DR
Jean-Marc Gadoullet a le même teint plombé que le ciel de décembre, qu'on aperçoit derrière les vitres de sa chambre, dans un hôpital de la région parisienne où il a été transféré dans la plus grande discrétion deux semaines plus tôt. Le 29 novembre, à la sortie de Gao (Mali), son véhicule a forcé un barrage de gendarmes.
" Comment je pouvais les reconnaître ? Deux types en tee-shirt qui armaient leurs kalachnikovs au bord de la route... Je pensais que c'étaient des bandits. Ils ont dû penser que j'étais un bandit moi-même. "
C'est ce qu'assure l'ex-colonel du service action de la DGSE, chargé par Satom, filiale du groupe français Vinci, de missions de sécurité pour ses projets d'Afrique de l'Ouest. Mais, depuis septembre 2010, il menait des négociations pour tenter de faire libérer un groupe d'otages détenus par Abou Zeid, chef d'une
katiba (brigade) d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), retenus dans le nord du Mali après leur enlèvement à Arlit, au Niger voisin. Lors de l'épisode du barrage à Gao, Jean-Marc Gadoullet a frisé la catastrophe. Une balle a traversé son épaule, fracassant l'omoplate avant de ressortir et de frôler sa joue, sans atteindre l'artère.
L'important, pour lui, n'est pas là. Le fil des négociations engagées avec Abdelhamid Abou Zeid est suspendu. Brisé ? Pas encore. Sur sa table de chevet, Jean-Marc Gadoullet a posé ses téléphones et attend l'appel de l'équipe avec laquelle il a approché Abou Zeid. Son
" guide " est auprès d'AQMI depuis cinq jours. Mais il tarde à rentrer et à donner des nouvelles.
" C'est mauvais, ça n'est jamais arrivé avant ", s'inquiète Jean-Marc Gadoullet.
Au cours des dernières semaines, les événements se sont bousculés au Mali. Coup sur coup, en l'espace de deux jours, deux nouvelles prises d'otages sont survenues, à Hombori puis à Tombouctou. Un mort, cinq personnes enlevées, aucune trace ou revendication tangible jusqu'à présent. Parallèlement, Jean-Marc Gadoullet était blessé à Gao alors que la confusion s'installait sur le rôle de plusieurs équipes concurrentes françaises. En particulier des accusations par voie de presse de détournement de millions d'euros. De quoi fâcher
" l'émir ", le surnom d'Abou Zeid, qui suit l'actualité sur Internet.
Le 29 novembre, l'ex-lieutenant colonel,
" habillé en Touareg ",
" montait " pourtant dans son pick-up vers le nord du Mali, direction l'Adrar des Ifoghas, pour y retrouver à nouveau Abou Zeid. Selon plusieurs sources, il se trouvait en compagnie d'un responsable touareg connu, l'un de ses contacts avec AQMI. Pour arriver jusqu'à eux, Jean-Marc Gadoullet a pris l'habitude d'éviter les routes principales et d'emprunter les pistes des trafiquants, sur lesquelles l'armée se hasarde peu.
Lors de sa première rencontre avec Abou Zeid, en décembre, Jean-Marc Gadoullet s'est senti
" terrorisé " en approchant. Le groupe d'Abou Zeid a exécuté ou laissé mourir deux de ses otages, le Français Michel Germaneau et le Britannique Edwin Dyer. A la différence d'autres
" émirs " qui mélangent djihad et contrebande, Abou Zeid est un pur produit des maquis violents de l'Algérie des années 1990, des GIA (Groupe islamique armé) au GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat).
Mais Jean-Marc Gadoullet, rétrospectivement, s'attarde avec plaisir sur le récit de sa première rencontre avec Abou Zeid, cet homme qui ne se sépare jamais d'un fusil-mitrailleur RPK presque aussi haut que lui. Sur un plateau battu par le vent, son véhicule approchait d'une arête rocheuse quand il a soudain distingué des silhouettes
" très bien positionnées " : sur chaque point éminent du massif, se tenait un homme armé, tunique flottant dans le vent.
Avec le temps, il dit avoir appris à admirer la
" légèreté " de l'équipement et les façons de se mouvoir des hommes de la katiba
" à un moment où les forces spéciales - des armées régulières -
ont tendance à s'alourdir ".
La négociation qui va démarrer s'annonce particulièrement difficile. Le 16 septembre 2010, lors d'une opération inédite commandée directement par Abou Zeid, les hommes de la katiba ont roulé jusqu'à Arlit, au Niger, dans la région d'extraction de l'uranium. Devant la
" cité cadre " (ensemble de logements pour les employés de la compagnie Areva et de Satom), sept personnes ont été emmenées.
La présence d'Abou Zeid signale l'importance de l'opération. Trois jours durant, les véhicules font route avec les otages.
" On comprenait qu'on allait vers l'ouest ", se souvient aujourd'hui Françoise Larribe, enlevée ce soir-là et libérée depuis par Jean-Marc Gadoullet.
" On avait peur d'arriver en Mauritanie. Parce qu'en Mauritanie, on risquait une intervention de l'armée... "
Au sein d'AQMI, une tentative d'intervention peut entraîner très vite l'exécution des otages. Il reste quatre Français de ce groupe enlevé à Arlit aux mains d'Abou Zeid, parmi lesquels le mari de Françoise Larribe. Leur libération est d'une infinie délicatesse.
En décembre, lors de leur première rencontre, Jean-Marc Gadoullet s'était présenté à Abou Zeid comme
" Jean-Marc, responsable de sécurité de chantier ". Il y a peu de chances que le chef de la katiba, qui ne traite qu'avec des intermédiaires susceptibles de conduire à des gouvernements, se soit contenté de cette ligne d'explication.
" Areva, Satom, c'est la France. La France est notre ennemie, ce n'est pas une affaire privée ", répond de sa minuscule voix
" l'émir. " Ce qui ne signifie pas que la discussion est impossible.
Un autre négociateur étranger, qui a mené avec succès une libération d'otages avec la même katiba dans le passé, assure qu'il avait établi
" un contact téléphonique régulier " avec les proches d'Abou Zeid.
Les négociations engagées en décembre portent sur un
" premier dossier ", celui de trois otages qu'Abou Zeid ne souhaite en réalité pas garder : Jean-Claude Rakotoarilalao est malgache. Alex Awando est togolais. Dans la guerre des signes, AQMI ne veut pas apparaître comme s'attaquant
" à des Africains ". La troisième personne est la seule femme du groupe, Françoise Larribe, épouse de Daniel Larribe, ingénieur expert d'Areva. Abou Zeid ne garde pas les femmes. Il en a même libéré sans demander de rançon. Ce qui ne signifie pas que le processus de libération soit simple pour autant.
Abou Zeid, peu à peu, pose des conditions. Il faut transmettre un message, écrit à la main sur un carnet, àun certain responsable politique. Le message est signé d'une empreinte digitale, faite à l'encre rouge. Des préliminaires avant des
" revendications politiques et économiques " sur lesquelles le négociateur reste discret. Plus tard,
" l'émir " demandera que soient libérés des
" moudjahidine " en France, en Algérie ou en Mauritanie. Sans succès.
Mais dans l'intervalle, la situation se complique en raison de la concurrence d'une autre équipe qui tente d'ouvrir un canal de négociation. Les accusations fusent. Détournements. Menaces de mort. Tout y passe. Jean-Marc Gadoullet promet de poursuivre en justice ceux qui
" salissent son nom ". Son ennemi principal se nomme Guy Delbrel. Introduit dans les présidences d'Afrique de l'Ouest, celui-ci travaille auprès de Jean-Cyril Spinetta, le PDG d'Air-France-KLM, dont il a été le " Monsieur Afrique ".
Il semble mener une tentative de négociations parallèles à celles de l'équipe de Jean-Marc Gadoullet. La dispute franco-française fait du bruit et des dégâts dans le nord du Mali. A Paris, on tente de la juguler. Un haut responsable de la DGSE convoque les deux hommes pour un déjeuner de réconciliation dans une brasserie place de la République. En pure perte. Jean-Marc Gadoullet promet de
" transmettre ses coordonnées " à Guy Delbrel. C'est peu.
Auparavant, la conclusion du
" premier dossier ", assure Jean-Marc Gadoullet, a été retardée de près de deux semaines en raison d'une manoeuvre de l'équipe rivale, qui a réussi à empêcher l'atterrissage à Bamako d'un avion privé apportant certains
" éléments " indispensables à cette libération.
" Du coup, j'ai mis au point un autre truc par le Niger dans le plus grand secret. "
Le fait est que le 24 février, Françoise Larribe apprend brusquement qu'elle va être libérée et sera donc contrainte de laisser derrière elle, après cinq mois et demi de détention, son mari, Daniel, et un troisième otage (les autres sont éparpillés ailleurs). A l'évocation de ces moments, ses yeux s'embuent. Il faut à toute force essayer d'espérer que d'autres libérations suivront. Peut-être sur le même mode. Elle se souvient d'avoir vu Jean-Marc Gadoullet surgir, encore habillé en Touareg, dans le camp où l'opération devait avoir lieu.
" Quand je l'ai vu s'approcher, je n'ai d'abord pas compris que c'était un Français ", sourit-elle.
Pendant cinq mois et demi, elle a vécu la vie d'otage d'AQMI. Les changements de camps réguliers, avec sa couverture pour tout paquetage. Certains de ces camps étaient plus durs que d'autres, notamment lorsqu'il fallait s'y coucher sur un sol dur et pierreux. Dans les plus agréables, il y avait du sable, un semblant de confort dans un monde
" spartiate ", comme choisit de le qualifier l'ex-otage, qui insiste :
" Nous n'avons jamais été maltraités. "
Avant de la laisser s'en aller, Abou Zeid l'a convoquée pour une discussion, par le truchement du
" traducteur ", déjà identifié par les précédents otages. Selon une bonne source qui l'a eu au téléphone lors des négociations, l'homme est un Mauritanien polyglotte dont le père occupait un poste dans la sécurité de l'ambassade des Etats-Unis à Nouakchott. Ce n'est pas la seule étrangeté de l'affaire.
Jean-Philippe Rémy
© Le Monde
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